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Jusqu’à présent, je me suis attachée à vous décrire la perversion narcissique au sens psychologique/psychiatrique du terme. Bien que la perversion narcissique ne figure pas dans le manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux (DSM) publié par l’Association Américaine de Psychiatrie (APA), le phénomène est néanmoins connu et relié à une organisation psychique spécifique (j’y reviendrai plus en détail plus bas). Pour résumer, sous l’angle psychologique, la perversion narcissique, que j’appelle fionisme, est avant tout une maladie mentale « censée » concerner peu de personnes.

 

Pourquoi je dis « censée » ? Car mon expérience et mes observations me conduisent au constat suivant : les agissements fioniques sont de plus en plus courants, et ce notamment dans le monde professionnel… « Alors quoi ? On est cerné par les fion(ne)s ? Il y a de plus en plus de fion(ne)s ? Comment est-ce possible ? ». C’est là où je vais rentrer dans le monde des hypothèses, et ce par souci d’honnêteté intellectuelle, car je n’ai pas de réponses à ces questions…

 

Pour l’heure, mon hypothèse est que non, il n’y a pas significativement plus de fion(ne)s au sens médical du terme. Mais les techniques fioniques (les techniques de manipulation perverse) sont en effet de plus en plus pratiquées.

 

« Pourquoi ? ». Eh bien je pense que ça n’aura échappé à personne (je l’espère tout du moins), mais nous nous trouvons dans une société faisant l’apologie de la compétition (de l’école au marché du travail), compétition que l’on nous vend comme inévitable dans un contexte de crise où il n’y a plus (volontairement ?) assez de travail, d’argent, de place… pour tout le monde. Un tel contexte génère de la peur, et fragilise les personnes qui seront naturellement plus enclines à faire des sacrifices, et à accepter des conditions de travail, de vie… précaires, pour ne pas dire malsaines dans le cas qui nous occupe, mais aussi plus enclines à éliminer ce qui peut menacer leurs acquis, leur place, leur situation… par instinct de survie pur et simple. De la même manière, nous sommes aujourd’hui dans un culte de la perfection (être un père, un mari parfait, une mère, une conjointe parfaite, un(e) employé(e) parfait(e), etc…), à croire que nos personnalités finissent par se craqueler sous une telle pression (que l’on subit et que l’on fait subir, à soi-même et aux autres…).

 

A qui profite le crime ? Je ne sais pas… J’ai tendance à penser que le crime profite, dans l’immédiat, à une oligarchie (qui, elle, est réellement fionique pour le coup) qui tente de nous presser comme des citrons pour recueillir toute l’énergie que nous pouvons fournir (au service de ses intérêts et non des nôtres),  à une oligarchie qui tente aussi de nous imposer de nouvelles valeurs sociétales en permutant les comportements malsains en comportements dits « normaux ». Pour tout vous dire, notre situation m’évoque avec effroi le roman prophétique « 1984 » de George Orwell… Et, ce qui m’effraie encore plus, c’est l’idée que cette oligarchie n’est peut-être, en fin de compte, qu’un égrégore (forme de pensée) produit et alimenté par les plus bas instincts de chacun d’entre nous ! (oui, cette hypothèse est un peu métaphysique j’avoue, mais… pourquoi pas après tout ?!). Bref, ma croyance actuelle est à cheval entre diverses hypothèses, dont les deux hypothèses décrites ci-dessus (la première d’entre elles étant tout de même assez factuelle quand on y regarde de près…).

 

Qui sont les victimes ? Qui sont les bourreaux ? Les victimes sont-elles aussi les bourreaux, et inversement ? Débat complexe dans lequel je ne m’aventurerai pas ici…  préférant me pencher sur ce qui distingue la perversion narcissique au sens psychiatrique du terme (perversion pour laquelle nous n’avons aucun « remède » aujourd’hui, si tant est qu’il en existe un…), et ce qui relève de comportements malsains pratiqués par des sujets qui ont parfaitement conscience de ce qu’ils font, qui utilisent les techniques manipulatoires par choix, comme si ces techniques manipulatoires étaient des outils managériaux « normaux », adaptés ! Cette distinction me permettra d’embrayer sur le fionisme à l’université et au travail, fionisme mis au service de techniques de sélection, de techniques managériales… directement en cause dans « l’épidémie » de burn-out et de dépressions que nous connaissons aujourd’hui selon moi.

 

« Ben, au final, maladie psychologique ou pas, l’effet dévastateur du fionisme est le même ? » Absolument oui. « Alors, à quoi bon savoir qu’il y a des vrai(e)s et des faux/fausses fion(ne)s ?! ». Bonne question… Selon moi, l’intérêt est celui-ci : se réveiller et réveiller celles et ceux qui ont basculé, pour celles et ceux qui le peuvent encore, en faisant entendre qu’il existe d’autres moyens pour communiquer et pour faire valoir ses demandes, ses besoins… Eviter le piège de renversement des valeurs, en s’opposant fermement à ce dernier dans notre vie de tous les jours. En somme, refuser de se déshumaniser en devenant des machines sans empathie…

 

Tentons donc de distinguer un(e) fion(ne) au sens psychiatrique du terme, et un sujet lambda ayant choisi le côté obscur de la force pour le dire poliment…

 

 

1. La perversion en psychologie

 

J’espère que vous allez me suivre, car cette partie, bien que simplifiée à son maximum, n’est pas facile à comprendre !

 

La psychologie psychanalytique distingue différentes structures psychiques, c'est-à-dire différents modes d’organisation de notre psyché, de notre esprit. Au départ, on classait les gens dans deux structures distinctes : la structure névrotique et la structure psychotique. Mais, cette classification binaire ne convenant pas à tout le monde (certaines personnes ne relevant pas vraiment de la structure névrotique ni de la structure psychotique), les psychologues ont défini une troisième structure psychique : celle des états-limites (c’est dans cette structure que certains psychologues rangent les manipulateurs pervers). Cette nouvelle classification devint, comme la première, incomplète (eh oui, n’en déplaise à certains, mais l’Homme ne peut pas être rangé dans des cases !), si bien qu’aujourd’hui, cinq organisations psychiques sont évoquées, dont une spécifique à la perversion d’ailleurs. Dans cet article, je vais rester sur la classification ternaire névrotique/états limites/psychotique.

 

Je m’attarde sur cette histoire d’organisation psychique car, selon la structure psychique dont on se rapproche le plus, notre rapport au monde, aux autres, à la réalité… est différent. Ainsi :

 

- une personne ayant une structure psychique névrotique (c’est le cas de la majorité d’entre nous) a :

  • le principe de réalité

  • le sens des limites (entre elle et ce qui n’est pas elle)

  • des normes (= le Surmoi) qui « régulent » ses pulsions (= le Ca),

  • la faculté de reconnaître ce qui est pénible pour elle, en le verbalisant ou en le mettant à l’écart (par le refoulement par exemple)

Quand cette structure devient pathologique, les symptômes associés n’empêchent pas la relation à l’autre.

 

 

- une personne ayant une structure psychique états-limites (on dit aussi « borderline ») a, quant à elle :

  • un principe de réalité fragile : la limite entre la réalité et l’imaginaire n’est pas toujours nette

  • une image de soi différenciée du « non-soi » fragile 

  • des pulsions (= le Ca) archaïques, agressives, avec un agent de régulation (c'est-à-dire des normes, une censure, aussi appelé le Surmoi) peu, voire pas constitué

  • un narcissisme primaire (ce qui signifie que la personne peut se prendre elle-même comme objet d’amour)

Quand cette structure devient pathologique, les symptômes menacent la relation à l’autre, puisque la personne met en acte ses souffrances (à défaut de savoir les exprimer). Elle peut même avoir des délires temporaires la coupant de la réalité.

 

Une structure en elle-même (névrotique, borderline, et même psychotique) n’est pas pathologique en soi, mais toutes les structures peuvent être sujettes à une décompensation qui peut déboucher sur une maladie mentale. Bien sûr, les maladies ne seront pas du tout les mêmes selon la structure psychique du sujet, puisqu’il y a des structures plus fragiles que d’autres (la structure psychotique est la plus fragile des trois, suivie de la structure états-limites, elle-même suivie de la structure névrotique).  Ainsi, les maladies « psychotiques », autrement dit les psychoses (ex : la schizophrénie), seront, il est vrai, plus graves que les maladies « borderline » (ex : maladie du même nom, le trouble borderline), elles-mêmes plus graves que les maladies « névrotiques », autrement dit les névroses (ex : TOC, c'est-à-dire Troubles Obsessionnels Compulsifs).

 

Ca va ? Vous me suivez jusque là ? J’espère… car… le plus dur reste à venir !

 

 

2. Fionisme : une nouvelle « normalité » ?

 

Ces théories sur les structures psychiques, bien que très loin de rendre compte de la diversité de la vie psychique (celle-ci ne pouvant pas se réduire à des catégories), ont néanmoins le mérite de dessiner ce qui différencie une personne à la structure psychique borderline (c’est le cas d’un(e) fion(ne), dont la structure borderline a décompensé pour traduire une maladie de perversion narcissique) et une personne « lambda » (à la structure psychique névrotique), à savoir… leur conception de la normalité.

 

La normalité étant avant tout un concept subjectif et en aucun cas une Vérité (il n’y a qu’à se pencher sur l’Histoire pour réaliser que ce qui était considéré comme normal il y a des centaines d’années ne l’est plus forcément aujourd’hui), la normalité du/de la fion(ne) n’est pas la même que celle d’une personne « névrotique », et ce même si cette dernière choisit en toute conscience d’user de stratégies fioniques dans sa vie (pour asseoir son pouvoir, pour se défendre, pour obtenir ou conserver un poste, etc…).

 

 

Cette subtilité, qui n’a l’air de rien, soulève pourtant des questions cruciales, parmi lesquelles :

 

- dans quelle mesure un(e) fion(ne) au sens pathologique du terme est responsable de ce qu’il/elle fait ? Est-il/elle responsable, partiellement responsable ? (ça ne vous évoque pas les faits divers dramatiques où il s’agit, par exemple, d’évaluer la responsabilité d’un criminel souffrant de schizophrénie ? Car là, ça soulève le même genre de questions, dans un registre différent bien entendu…)

 

- de quelle manière doit être soigné(e), sanctionné(e), un(e) fion(ne), comparativement à un sujet lambda usant de stratégies fioniques ? Pour le reformuler, comment soigner, sanctionner une personne souffrant d’une maladie mentale (ici, le fionisme, mais ça pourrait être une autre pathologie) comparativement à quelqu’un qui a une représentation de la réalité « adaptée » à la vie en société (un rapport au monde dit « normal »), et qui a donc la pleine conscience de la nocivité de ses agissements ?

 

- est-ce qu’un sujet « névrotique » usant de stratégies fioniques peut, à terme, modifier son rapport à la réalité (jusque là adapté à la vie en société), et basculer sur une organisation psychique « états-limites » (borderline), c'est-à-dire… devenir un(e) fion(ne) au sens pathologique ? A noter que, dans un pareil cas, ce n’est pas le changement de structure psychique (à supposer que ce changement soit possible) qui fait que le sujet devient pervers narcissique, mais bien la combinaison entre des comportements déjà pervers et un changement de structure

 

- est-ce que, pour conclure, l’organisation psychique « borderline » (structure fragile donc) peut prendre le pas sur l’organisation psychique « névrotique » (organisation actuellement considérée comme plus « normale », c'est-à-dire comme plus « adaptée » à la vie en société), et donc engendrer une modification des valeurs communément acceptées ? Pire, est-ce que l’on peut craindre une « épidémie » de fionisme à l’avenir qui conduirait inévitablement à un renversement des valeurs ? (où l’intolérable deviendrait tolérable, l’immoralité morale, etc, etc…). Sachez, pour celles et ceux qui pourraient penser que je pousse le bouchon un peu trop loin, que le Taylor Health Psychology estime que les dépressions majeures unipolaires seront la deuxième cause de mortalité en 2020… Quant aux renversements des valeurs, certains travaux dits « scientifiques » et certaines lois votées récemment me donnent la triste impression que nous avons déjà un pied dans ce nouveau paradigme…

 

 

Comme vous pouvez le voir, le sujet du fionisme est très complexe. On peut rapidement qualifier une personne de fion(ne) alors que celle-ci n’en est pas un(e) (au sens pathologique encore une fois), mais « juste » une personne malveillante qui fait le choix de se comporter comme un(e) fion(ne) (par stratégie, instinct de survie, etc…). De la même manière, on peut rapidement voir un(e) fion(ne) comme une personne malveillante sans mesurer que cette personne est psychologiquement malade... et donc elle-même victime de ses pulsions qu’elle ne sait pas maîtriser. Enfin, traiter du fionisme nous conduit aussi à nous interroger sur les valeurs de nos sociétés modernes, et, de façon plus philosophique, sur ce qui est, aujourd’hui, qualifié de « bien » ou de « mal »…

 

En somme, le fionisme n’est pas loin de devenir un sujet de préoccupation majeur pour nous, nous en tant que conjoint, en tant que travailleur, mais aussi… en tant que citoyen…

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Article suivant : 15. Fionisme à la fac

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